Le Soleil de Colombie, Colombie-Britannique
Frédéric Lenoir, 23 juillet 1993
Monique Jutras : la poésie des gens ordinaires. Puisant dans le répertoire québécois, Monique Jutras interprète les chansons traditionnelles et les grands auteurs du Québec.
Le Soleil : Comment en es-tu arrivé à te spécialiser dans le répertoire folklorique ?
Monique Jutras : J’ai toujours été attirée par les musiques folkloriques du monde entier. Le folklore, c’est la musique et la poésie des gens ordinaires. Ce sont des chansons consacrées par le temps, qui ont traversé les siècles, avec une qualité textuelle et musicale. Elles sont entrées dans la mémoire collective. Dans les années 70, le Folk Revival, né aux États-Unis, a gagné le Québec. Je suis partie à la recherche du folklore québécois. C’est un héritage très ancien, qui remonte à la France médiévale. J’ai fait beaucoup de recherches dans les livres, jusqu’à ce que je ressente le besoin de savoir comment les gens faisaient vivre aujourd’hui le folklore. À la fin des années 70, je me suis lancée dans une grande recherche à travers les villages du Québec. J’ai découvert tout un monde avec des gens très attachés à de vieilles chansons dont ils n’ont pas toujours conscience qu’elles viennent d’aussi loin. J’étais fascinée par leur façon de chanter et par leur répertoire.
–Tu chantes également le répertoire québécois contemporain…
– C’est après un séjour au Nicaragua – on me demandait de chanter les auteurs québécois – que j’ai commencé à interpréter les grands auteurs et les poètes québécois. J’ai exploré ainsi Vigneault et Leclerc, et maintenant Richard Desjardins. Une chanson comme Jack Monoloy, au moment des négociations avec les Autochtones, est tout à fait d’actualité. J’essaye toujours, par mes chansons, de véhiculer un message de paix et d’harmonie.
-Le folklore n’est-il pas en perte de vitesse au Québec ?
-Il y a eu la grande période du Folk Revival. Aux grandes heures du nationalisme, le folklore avait une fonction politique. C’était ce qui rassemblait tout le monde, les jeunes comme les vieux. C’est retombé. Il y a un petit regain aujourd’hui, mais on ne reviendra jamais à cette époque. Mais les jeunes qui chantent le folklore sont très bons. Ce que j’ai toujours déploré, c’est l’image caricaturale du folklore québécois. Il ne se réduit pas aux chansons à répondre ! Il y a toutes ces chansons médiévales, ces complaintes très poétiques. C’est ce qui est très difficile de faire passer en ce moment. J’anime des ateliers dans les écoles primaires. C’est là qu’on forme le public de demain.
-Est-ce la première fois que tu participes au Folk Festival de Vancouver ?
-Non, je suis venue en 1982. En 1985, je suis revenue pour offrir des ateliers à l’université Simon Fraser. Je connais donc un peu Vancouver. Mais j’ai toujours le sentiment de très peu connaître la culture anglophone. Et inversement, je crois que les anglophones ne connaissent pas bien la culture québécoise. Est-ce que le Canada existe vraiment en tant que pays ? Ou bien n’y a-t-il pas plusieurs pays au sein du Canada ? Pour moi, le Grand Canada est une utopie.
-Comment te situes-tu aujourd’hui par rapport à la question de l’indépendance du Québec ?
-Je me pose la question. S’il fallait voter demain pour l’indépendance, je serais embarrassée. Ce que je sais, c’est qu’il faut trouver une manière de se prendre en mains pour survivre en tant que français d’Amérique. La séparation est-elle la meilleure solution ? Je suis craintive. J’ai vécu l’après-révolution au Nicaragua. C’était très dur. Et aujourd’hui, au Canada, les problèmes économiques sont sérieux. Je me tiens à l’écart du débat politique au sens strict, mais je pense qu’il est très important de préserver notre culture française. Les lois sont sans doute nécessaires. Mais avant tout, il faut faire avancer notre volonté de conserver notre culture et notre langue, sans nous fermer. Une tendance vers plus d’autonomie serait peut-être la meilleure solution.