Chroniques de l’album – Complaintes Médiévales
Journal Ici Montréal
Yves Bernard, 29 novembre 1999
En juin, dernier, cette chanteuse ethnologue a fait paraître Complaintes médiévales, un excellent deuxième disque proposant un hommage aux femmes bafouées, à celles qui ont permis aux chansons épiques et tragiques de traverser le temps, depuis le Moyen Âge jusqu’à… hier. L’air de rien, avec la voix claire et pure de l’interprète ou les arrangements sobres mais riches de Jean-Claude Bélanger, on nous raconte de dures histoires de courtisanes brûlées vives, de jeunes amants désespérés, de princesses enfermées dans des tours et quoi encore ! Et le pire, c’est que l’interprétation des musiciens de l’Ensemble Claude Gervaise et la réalisation de Michel Robidoux embellissent tellement le décor des personnages et des complaintes qu’on leur donnerait volontiers le Bon Dieu sans confession. Dans le cadre de la Virée dans Villeray – qui produit également Matapat et Lueurs d’Espoir – Monique Jutras présente le spectacle du disque avec l’Ensemble Claude-Gervaise à l’Auditorium Le Prévost, 7355 av. Christophe-Colomb, samedi le 4 décembre.
Bulletin de musique folklorique canadienne
Donald Deschênes, novembre 1999
Monique Jutras a derrière elle une longue carrière d’interprète de la chanson traditionnelle québécoise. Elle s’est produite dans de nombreux festivals et en milieu scolaire, auprès des enfants, tant au Canada qu’aux États-Unis. Après Chantons et turlutons la chanson folklorique québécoise (livre et cassette) en 1994 et La Turlute des Little-Delisle en 1997, Monique Jutras récidive avec ces Complaintes Médiévales.
Ce disque fait suite à une recherche qu’elle a effectuée au niveau d’une maîtrise en ethnologie sur les chansons tragiques et épiques de tradition française, et publiée en 1997 (Vision d’une société par les chansons de tradition orale à caractère épique et tragique par Conrad Laforte et Monique Jutras, Québec, Les Presses de l’Université Laval). Soutenues par des arrangements et une instrumentation de style médiéval (cromorne, viole, vièle, flûte, saqueboute, cervelas, chalémie, douçaine, guitare et autres), Monique Jutras propose à notre écoute une douzaine de complaintes épiques et tragiques venues en terre d’Amérique depuis la mère patrie par la transmission orale.
Tenant parfois de l’épopée, ces complaintes évoquent les mœurs rudes des chevaliers, une époque où l’honneur d’une fille et de sa famille est incarnée par sa virginité, où l’autorité paternelle et les vengeances sont terribles. Quelques titres : Dame Lombarde, La belle qui fait la morte pour son honneur garder, La maumariée vengée par ses frères, La fille tuée par sa mère, La courtisane brûlée, Le chevalier à la claire épée. Par jeu, Monique Jutras nos propose également une composition dans le même style, La princesse de l’Albion, sur la princesse adulée morte il y a quelques années de façon tragique.
Monique Jutras possède une voix au timbre riche et claironnant et une technique vocale sûre. Cependant, on doit malheureusement reprocher à ce disque sa rigidité : rigidité de l’interprétation et rigidité classique des arrangements. Choix d’autant plus singulier que, depuis quelques années, on constate une tendance chez les groupes de musique ancienne de se rapprocher de l’interprétation de la chanson traditionnelle. Malgré cette réserve, ce disque présente un répertoire d’une grande richesse et sélectionné avec le plus grand soin. Il devrait compter parmi les classiques du genre et connaître une bonne carrière. Mentionnons enfin un feuillet de 38 pages bien documenté, comprenant les textes des chansons et leur traduction anglaise.
Journal Le Soleil
Blaise Robinson, 6 août 1999
Monique Jutras a une démarche bien particulière. Comme artiste et ethnologue, son regard sur les chansons de la Nouvelle-France est double. D’abord, d’une voix claire comme de l’eau de source, l’artiste chante des complaintes du Moyen-Âge, populaires aux débuts de la colonisation. Ces chansons tristes et tragiques, « mais combien riches », constituent, selon elle, « une image beaucoup moins connue de notre folklore mais combien présente dans notre imaginaire collectif. » C’est dans ce genre de réflexion que l’on retrouve l’autre Monique Jutras, l’ethnologue. Mais, insiste-t-elle, « je crois que je suis d’abord une artiste, et c’est ma grande curiosité pour les chansons des premiers temps de la Nouvelle-France qui m’a conduite à l’université. »
Publié en 1997 à partir de sa thèse de maîtrise, le livre Vision d’une société par les chansons de tradition orale à caractère épique et tragique, écrit en collaboration avec Conrad Laforte, professeur retraité de l’Université Laval, est une véritable mine d’or sur le sujet. L’ouvrage présente, en plus d’une anthologie de 75 chansons anciennes, une analyse des mœurs, coutumes, structures narratives, systèmes d’opposition et transformations dans le temps de ces chansons. Tout est scruté à la loupe, pour le plus grand plaisir des amateurs d’histoire et de littérature.
Depuis deux ans, Monique Jutras est revenue à l’artiste et à la chanson en lançant, en juin dernier, l’album Complaintes médiévales (Interdisc), un répertoire d’une douzaine de chansons traditionnelles québécoises amenées de la vieille France par les premiers colons. On y retrouve des pièces comme La courtisane brûlée, La fille du roi Loys, Dame Lombarde, La maumariée vengée par ses frères, et une de ses compositions, La princesse d’Albion, écrite à partir de l’histoire d’une princesse morte il n’y a pas si longtemps… Je vous laisse chercher.
Accompagnée pour l’occasion de l’ensemble de musique médiévale Claude-Gervaise et de ses étranges instruments anciens tels les cromorne, chalémie, vièle et saqueboute, le résultat sonore est magnifique malgré le dramatique des complaintes. « Ces œuvres de tradition orale sont à mi-chemin entre la fiction et l’histoire. Les complaintes sont remplies de symbolisme. Elles nous donnent accès à un certain regard sur le passé », raconte Monique Jutras, qui affectionne particulièrement cet envers dramatique de notre patrimoine musical. Et ses anecdotes sont nombreuses : « Les coureurs des bois et les premiers colons chantaient beaucoup de chansons en voyageant et en travaillant. Le soir sur le bord du feu, les femmes chantaient des complaintes en filant et mesuraient la quantité de laine par le nombre de complaintes chantées. »
Dans le cadre des Fêtes de la Nouvelle-France, Monique Jutras, accompagnée de l’ensemble de musique ancienne Claude-Gervaise, se produira aujourd’hui à 16h45 au Parc Montmorency de Québec sous le thème Complaintes et Turlutes en Nouvelle-France.
La Gazette des Femmes
Annie Savoie, juillet 1999
Monique Jutras cultive une passion : la chanson folklorique québécoise et française. Musicienne, chanteuse et ethnologue, elle ne se contente pas d’interpréter les airs de nos ancêtres, elle les étudie aussi. Son dernier coup de cœur ? Un album intitulé Complaintes médiévales (Interdisc) qui nous ramène au temps des chevaliers et des princesses. À la voix et à la guitare de la chanteuse s’ajoutent les instruments anciens de l’ensemble Claude-Gervaise (viole, flûtes, luth, chalémie). Les complaintes révèlent des mœurs rudes et cruelles, particulièrement pour les femmes. Ainsi, ces paroles tirées de La maumariée vengée par ses frères : « La première année que j’ai été mariée / Il m’a tant battue de bâtons et de verges / Il m’a mise en sang de la tête jusqu’aux pieds. » Ou encore dans Le flambeau d’amour : « C’est une fille de quinze ans, Grand Dieu ! Comme elle est amoureuse / Son père la fait mettre à la tour/ Pour que personne ne lui fasse l’amour. » Monique Jutras a même composé une chanson dans laquelle elle évoque la vie et la mort d’une célèbre princesse britannique contemporaine…
Un album à découvrir pour le portrait d’époque qu’il donne à voir, même si les motifs musicaux sont parfois répétitifs. Pour celles qui aiment swinger l’artiste a aussi produit un album en 1997 intitulé La turlute des Little-Delisle (Analekta). Entourée de musiciennes, elle y revisite le folklore québécois à sa façon. Très entraînant !
À signaler aussi, le livre écrit par Monique Jutras et Conrad Laforte : Vision d’une société par les chansons de tradition orale à caractère épique et tragique, publié aux Presses de l’Université Laval en 1997.
Journal Echo Vedettes
Louise Jalbert, 4 juillet 1999
Après La Turlute des Little-Delisle, la chanteuse Monique Jutras propose cette fois des chansons traditionnelles québécoises peu connues et l’une de ses compositions, La Princesse d’Albion, qui traite habilement le drame de Lady Di dans le style médiéval. Sur une musique charmante et apaisante, jouée avec des instruments d’époque par l’Ensemble Claude-Gervaise, la voix claire de Monique Jutras, parfois appuyée par le chœur des musiciens, raconte des histoires qui rappellent la réalité du Moyen Âge, une époque difficile pour les femmes, le plus souvent soumises, parfois maltraitées et même torturées, un contraste entre le propos très dur et la forme légère. Un album bien fait, réalisé par Michel Robidoux, qui devrait trouver son public surtout chez les jeunes.
Radio-Canada, Montréal Express, Marie-Christine Blais, juin 1999
« En plus d’être une magnifique chanteuse, Monique Jutras est une experte, une érudite dans le domaine de la chanson médiévale. Ce deuxième disque présente l’envers sombre de notre chanson folklorique. Ici, on est loin de la démarche de réactualisation d’un Michel Faubert : pas de guitare électrique, pas de batterie, mais des instruments anciens qui donnent à l’album une valeur de témoignage très fidèle à l’origine, à ce qui était… Un album qui plaira à tous ceux que la complainte dans le respect de la tradition intéresse… »
Journal Voir (Québec)
Tristan Malavoy-Racine, juin 1999
Echos d’une époque lointaine, les airs entonnés par MONIQUE JUTRAS sont autant de petits voyages dans le temps. L’instant d’une chanson, voilà chevaliers, châtelains et gentes dames ressuscités.
Après nous avoir initiés à La Turlute des Little-Delisle, en 1997, Monique Jutras nous entraîne cette fois-ci au cœur de l’époque médiévale. Son troisième et tout récent album, sobrement intitulé Complaintes Médiévales, fait revivre les airs et les coutumes du Moyen Âge grâce à une production raffinée, tout en nuances, qui nous change de ces disques de musique folklorique un peu lourdauds, qu’on sort les soirs de party pour se taper la bedaine.
Préparé avec la participation de l’Ensemble Claude-Gervaise, une confrérie de musiciens qui étudient et reconstituent des instruments anciens, Monique Jutras et Jean-Claude Bélanger, son directeur musical, ont enveloppé ces mélodies d’autrefois d’arrangements très soignés qui intègrent la flûte, la viole et la vièle, bien sûr, mais aussi des cromornes, saqueboutes, cervelas, chalémies et autres instruments inusités. Le tout est basé sur le jeu de guitare et la très jolie voix de Monique Jutras, qui ne se permet de fioritures que celles permises par le genre.
Douze des chansons que compte le nouvel album ont été sélectionnées parmi une anthologie de soixante-quatorze complaintes, lesquelles avaient été répertoriées et étudiées dans le livre Vision d’une société par les chansons de tradition orale, publié en 1997 et coécrit par Monique Jutras et Conrad Laforte. Cet ouvrage nous permet d’ailleurs de mieux comprendre ce répertoire toujours en mouvance, constitué de chansons qui, survivant grâce à la tradition orale, ont emprunté à leurs interprètes et se sont modifiées au gré des âges.
À la première écoute, l’auditeur sera sans doute étonné par la portée tragique de certains chants. Dans le répertoire médiéval, il n’y a pas que des romances et des « mignonne allons voir si la rose… », loin de là. Le corpus, riche en complaintes, évoque aussi des mœurs rudes. Souvent, les histoires chantées sont empreintes de fatalisme et de cruauté. Dans la pièce La Maumariée vengée par ses frères, par exemple, une dame raconte les déboires de son mariage, elle dont le mari l’a sauvagement battue, avant de jeter leur nourrisson aux chiens. Quand les trois frères de l’épouse lui rendent visite et comprennent le drame qu’elle tente de leur cacher, le mari cruel va bientôt passer au fil de l’épée. D’autres titres en disent long : La Fille tuée par sa mère, Le nouveau-né noyé qui parle, La Courtisane brûlée, Le galant qui voit mourir s’amie…
Prise au jeu, la chanteuse-ethnologue a elle-même composé une chanson dans le style de la complainte médiévale, mais dont le thème est moins éloigné de nous. Dans La Princesse de l’Albion, nous reconnaissons en effet une célèbre princesse d’Angleterre, dont la subite disparition, il y a quelques années, a plongé le monde entier dans le deuil. Ça vous dit quelque chose ?
Monique Jutras ne fait pas que chantonner des airs d’antan. Elle étudie les mœurs médiévales, puise dans un répertoire éparpillé aux quatre vents, reconstitue des chants qui souvent nous parviennent par bribes, avant d’en livrer une interprétation vraiment remarquable.