Journal de Mont-Royal, Montréal

Marie Trudel, 5 décembre 2003

Fille spirituelle de Raoul Roy.  « Je me considère comme la fille spirituelle de Raoul Roy, je me situe dans sa lignée, du côté des chansonniers et non des «swingeux  même si j’ai des chansons qui swingent aussi » », rappelle Monique Jutras.  Car la chanteuse est également, faut-il le dire, l’interprète reconnue de Mary Travers, pour tout dire notre seule et complète Bolduc.  C’est en élevant sa famille à Québec que Monique Jutras a complété à l’Université Laval une maîtrise sur la chanson folklorique française.  Mais trêve de maîtrise, il faut maîtriser aussi la turlute, ce qu’elle fait, disons quasi parfaitement puisque la perfection n’existe pas… En tout cas sur La turlute des Little-Delisle, un de ses trois DC actuellement sur le marché, ne se devine nulle trace de labeur derrière la voix fraîche comme une eau de source que mini-chœurs et instrumentistes soutiennent en de précis et délicats arrangements musicaux.  Gavant l’auditeur de moult broderies folkloriques qu’elle a intimement fait siennes, sa voix juste excelle dans les ornementations médiévales et autres joyeusetés extraites de sources, produit un doux écho de « choses » déjà entendues mais renouvelées à l’unique façon de l’interprète.

Ah ! les délais d’Eddie !  Parlons-en justement « des délais d’Eddie Delisle ».   Ils sont bien amusants, racontés par Monique Jutras.  Dalida veut connaître l’délire au lit avec Eddie qui a mal au dos… Tout ça pour dire qu’Eddie a beau avoir déjà été un titan au lit, ben aujourd’hui, atteint comme il est, il a des délais au lit et voilà, vous avez tout compris même si l’histoire est loin de finir là, étirée quelle est, comme une belle tire d’érable sur des rythmes là encore médiévaux et autres tam di delam

Dans les années soixante-dix, Monique Jutras invite le folkloriste Raoul Roy – qui en passant, habita fort longtemps Outremont – à un récital quelle donne au Café du Port à Montréal.  Ce dernier apprécie son travail mais lui fait toutefois comprendre qu’elle devra trouver son propre répertoire.  « Dans mon répertoire, j’avais moi-même collectionné des chansons mais j’en avais tiré beaucoup, aussi, des disques de Raoul.  Mais pour lui, le répertoire c’était sacré, il ne fallait pas toucher à son répertoire.  Il m’avait fait savoir que ça demandait beaucoup d’énergie pour aller chercher ces chansons !  Aujourd’hui, je le comprends ! » de dire la folkloriste.  Raoul, toutefois, ne lui garde pas rancune de ses « emprunts » et lui remet une fort belle lettre de références qui l’aidera à obtenir une subvention pour entreprendre une cueillette approfondie de répertoire dans les campagnes de Lanaudière.  En 1976, le folkloriste l’engage à sa boîte à chansons de Percé.  A l’époque, elle connaît déjà ses affinités avec celui qu’elle considère encore aujourd’hui son mentor et à qui elle garde sa reconnaissance.  « Ce qui m’avait frappée », raconte-t-elle, « c’est que contrairement aux autres chanteurs de ma génération, j’avais les mêmes goûts que Raoul au point de vue répertoire, j’aimais les complaintes à caractère médiéval, les chansons à textes, j’aimais les qualités mélodiques de ces chansons et, comme lui, j’avais une formation en guitare classique alors que dans les années 70, c’était plutôt la guitare acoustique jouée à l’américaine qui avait la cote».  Monique Jutras aime la couleur naturelle des chansons folkloriques.  « Elles ont été portées par tellement d’oreilles musicales, tellement de générations ».  En 1990, la musicienne a enregistré pour l’émission Des musiques en mémoire de la chaîne culturelle de Radio-Canada, un spectacle-hommage destiné à Raoul Roy.

Elle prépare actuellement un disque des chansons de la Bolduc.  Hélas !  Les autobus étant ce qu’ils sont lorsqu’ils sont en grève, j’ai raté le mini-récital de Monique Jutras au lancement du DC de compilations de Raoul Roy, le 20 novembre dernier.   Bof, le lendemain, après une découverte songée des délais d’Eddie Delisle, j’ai repêché dans le dossier de presse de l’artiste cette phrase ravigotante :  « Le public ne demande pas mieux que d’en apprendre davantage sur les origines ou l’historique des chansons et des instruments de musique traditionnels québécois ».  Ce qui se fait avec ou sans autobus, bien sûr.