Le courrier de Saint-Hyacinthe, Saint-Hyacinthe

Denyse Bégin, 30 novembre 2005

La turlute de Monique Jutras.  Du Moyen Âge jusqu’à la Bolduc, Monique Jutras peut élaborer facilement sur les complaintes à caractère médiéval, les chansons à répondre et le folklore traditionnel du Québec ou même sur celui du Nicaragua où elle a vécu pendant quelque temps.  Le tout dans une bonne humeur contagieuse et dans esprit de partage sans prétention, tout à fait charmant.

C’est dans les années ’70, en pleine montée nationaliste, que Monique Jutras commence à s’intéresser à la chanson traditionnelle québécoise.  Elle explore aussi le répertoire des complaintes à caractère médiéval ainsi que les récits de cette époque puis, décide de s’inscrire à l’Université Laval en ethnologie. À la maîtrise, un spécialiste de la chanson traditionnelle, Conrad Laforte, lui propose de travailler avec lui sur 75 chansons à caractère épique et tragique et leurs différentes versions, qui ont traversé le temps.  En tout, ils épluchent et analysent près de 2000 documents pendant deux ans.  Il en résultera la publication d’une anthologie intitulée Vision dune société par les chansons de tradition orale à caractère épique et tragique .

De ce travail, elle extrait quelques chansons et produit un disque Complaintes médiévales, avec l’Ensemble Claude-Gervaise.  Cromornes, cervelas, vièles et saqueboutes enrobent ces complaintes méconnues du grand public.   « Ce n’étais pas évident de faire des spectacles avec ces chansons un peu arides aux histoires parfois vraiment tristes mais elles constituent tout de même une belle démonstration de l’ingéniosité de la tradition orale », affirme Monique Jutras.

L’interprète a développé au fil des ans une réelle fascination pour la chanson traditionnelle.  Elle adore remonter dans le temps et découvrir, par exemple, que la populaire À la claire fontaine pourrait dater du 13e siècle ou que les chansons à répondre ont une facture très ancienne dont les échos remontent parfois jusqu’au 12e siècle.  « Prenez une chanson comme J’ai cueilli la belle rose, » explique Mme Jutras.  « En fouillant un peu, on établit des liens avec certaines coutumes médiévales dont celle qui consistait à faire des bouquets et à en couronner l’élu(e) de son cœur.  Pendant mon séjour au Nicaragua, j’ai aussi constaté que leur folklore est un peu come le nôtre, dans leur cas avec des influences espagnoles puisque ce sont eux qui ont colonisé le pays à une certaine époque.  Toutefois, nous sommes un peuple de chanteurs et de conteurs, tandis qu’eux sont plus des danseurs.  Ainsi, d’autres liens peuvent s’établir au point de vue musical. »

Il y a quelques années, Monique Jutras qui est guitariste et harmoniciste, rêve de jouer des reels.  Une des façons de s’approcher de cette musique, d’après elle, c’est la turlute.  « Dans la musique traditionnelle, quand un musicien veut faire connaître un air à un autre musicien, il arrive fréquemment qu’il le fredonne, en turlutant.  Ça nous amène évidemment du côté de Mme Bolduc.  Pour composer ses airs elle prenait différents reels et les mélangeaient pour arriver à une nouvelle mélodie sur laquelle elle plaçait ses mots. »  En 2000, on offre à Monique Jutras de jouer « Sur les traces de la Bolduc », une comédie musicale de Lorraine Beaudry, jouée en plein air et qui suit un parcours d’une dizaine de lieux fréquentés par Mary Travers dans son quartier, Hochelaga-Maisonneuve.  « Nous faisions quelques saynètes et des chansons devant sa maison, à l’église où elle a été inhumée, ou à l’Institut de radium où on avait traité son cancer.  J’ai fait ça pendant deux étés et par la suite, j’ai eu l’idée d’enregistrer un album des chansons de Madame Bolduc.  Le violoniste Jean-Pierre Joyal, ethnomusicologue, a travaillé en collaboration avec elle.  Il a fait notamment un travail colossal à partir de l’œuvre de la Bolduc, retranscrivant toutes ses mélodies et décryptant tous les reels dont elle s’est inspirée pour construire ses chansons.  « Je n’ai pas la carrure de la Bolduc, elle faisait 6 pieds et pesait 180 livres tandis que moi, je suis plutôt un p’tit modèle de 5 pieds et 100 livres, mais j’ai beaucoup de plaisir à la personnifier.  On me surnomme la Bolduquette ! »

Le samedi 3 décembre, Monique Jutras sera en spectacle au Zaricot avec Jean-Pierre Joyal et Luc Lavallée.  En première partie, elle propose un répertoire traditionnel québécois original et très varié : chansons à répondre, complaintes, ballades et reels québécois.  En deuxième partie, la Bolduc (ou Bolduquette) prendra d’assaut la scène afin d’offrir aux spectateurs un plongeon musical au cœur des années ’30.  « La Bolduc revisitée ! » annonce Monique Jutras au bout du fil.