Le Soleil, Québec

Mylène Moisan, 12 octobre 2002

Le Québec a mal à son folklore.  Des ethnologues s’inquiètent du désintérêt des Québécois envers leur passé.   Le Québec a honte de son folklore.  Le vrai folklore, pas Robert Charlebois ou Gilles Vigneault. Celui des veillées d’antan, des quadrilles et de la turlute.  Un complexe qui remonterait, paradoxalement, au jour où les Québécois ont élu le Parti québécois…  « Dès que le PQ est entré au pouvoir, l’intérêt pour le traditionnel a commencé à descendre », relate Monique Jutras, artiste et ethnologue, qui s’exprimait dans le cadre du Festival des arts traditionnels de Québec.  « C’était comme si, à partir de ce moment-là, c’était acquis.  Que les gens sentaient que la culture était en sécurité et qu’on n’avait plus besoin de se préoccuper de ça. »

Hier après-midi à la chapelle du Musée du Petit Séminaire, une brochette d’ethnologues et de gens préoccupés par la mémoire collective étaient réunis pour parler tradition.  De sa transmission surtout.  Il est ressorti qu’au Québec, le fil du folklore, ténu, doit être métissé avec le présent pour qu’il puisse se frayer un chemin.  « Je m’inquiète de cette mode pour la fusion.  Pour faire passer le folklore, il faut le mêler à un tam tam africain, à du rock, du jazz ou à toutes sortes d’influences contemporaines.  Pour moi, c’est la démonstration que le Québec n’assume pas sa propre culture, qu’il en a honte.  Autrement dit, il faut noyer notre identité pour la faire passer », relève Mme Jutras.

Ce complexe de la ceinture fléchée ne date pas d’hier.  L’ethnologue Pierre Chartrand se rappelle une anecdote remontant aux premières années du Parti québécois.  « J’étais invité pour une conférence à Atlanta et j’avais fait une demande pour du financement.  On m’avait fait comprendre alors que ce n’était pas dans l’idée du PQ d’exporter un Québec traditionnel.  On voulait montrer un Québec moderne. »   Plus près de nous, M. Chartrand a rappelé l’événement Québec à New York, qui misait sur un Québec résolument moderne, à des lieues du pays de bûcherons et de défricheurs.  Cet Automne à New York rejoignait le même objectif que le Printemps du Québec à Paris :  propager un Québec moderne high-tech et bien branché.

Tess Leblanc, chanteuse et ethnologue acadienne, a toutefois rappelé que le folklore modernisé pouvait parfois amener quelques conversions.  Elle-même n’hésite pas à s’approprier certaines pièces des répertoires traditionnels, dans lesquels elle pige allègrement.  « Quand il y a eu Ashley McIsaac, avec son folklore grunge ça a amené des jeunes à s’initier à la musique traditionnelle et au violon.  Sans le grunge cette fois », a-t-elle précisé.

En filigrane de cette « prostitution » du traditionnel, la scène musicale québécoise, le traditionnel sans artifice, ça ne fait pas courir les foules.  « Le problème c’est la masse.  Collectivement on n’est pas fiers.  Il y a un jeu de conscience qui opère, à savoir qu’est-ce qu’on présente au public.  Il y a beaucoup de travail à faire pour sensibiliser les gens », expose Mme Jutras.

Robert Bouthillier, chanteur, conteur et ethnologue, estime également que « la scène est insuffisante pour faire la médiation entre la société d’aujourd’hui et les univers culturels qui ont précédé.  La population ne sait pas. »  D’où l’importance – et l’apparent cul-de-sac – de la transmission.  À une époque où – autre paradoxe – les moyens de communiquer n’ont jamais été aussi nombreux.  C’est dans le contexte où Internet a remplacé les veillées d’antan que le folklore doit se tailler une place.  Un folklore qui n’est plus ce qu’il était, estime Mme Jutras.  « La tradition n’a plus le même sens qu’avant. Il n’y a plus, à toutes fins utiles, de transmission « pure » de génération à génération comme avant.  Aujourd’hui, la notion de sacré a été remplacée par la convivialité. »